Chapitre IX

Une petite troupe suivait le chemin remontant vers Pendarmor. Elle comportait une dizaine de cavaliers Godommes escortant une file de captifs maintenus par une corde passée autour de leur cou. Une charrette tirée par un vieux dalka fermait la marche.

— Attaquons-nous ? demanda de Gallas qui portait déjà la main à son épée.

Yvain l’immobilisa d’une poigne ferme.

— Ils sont encore trop nombreux pour nous.

— N’êtes-vous pas désireux de délivrer ces malheureux ?

— Certainement mais à mon heure.

Montrant le soleil qui déclinait, il expliqua :

— La colonne marche lentement et ne pourra atteindre Pendarmor avant la nuit. Les Godommes seront contraints de bivouaquer. Nous attaquerons pendant leur sommeil.

Voyant une grimace se dessiner sur le visage de Paul, il ajouta sèchement :

— Je sais ce que vous pensez. Ce n’est pas chevaleresque. Vous préféreriez un combat au soleil précédé d’un loyal défi. Je ne fais que suivre les ordres du capitaine de Guerreval. Nous ne faisons plus un tournoi mais la guerre contre des envahisseurs.

— Vous avez raison même si je le déplore.

— Venez, il nous faut les suivre en silence.

Le raisonnement d’Yvain se révéla juste. Une heure avant la tombée de la nuit, les Godommes dressèrent leur camp dans une clairière à peu de distance de la route. Ils ordonnèrent aux prisonniers de monter une tente de peau et d’allumer un feu sur lequel ils firent rôtir un énorme quartier de viande qu’ils avaient eu la précaution d’amener.

Enfin repus, ils distribuèrent leurs restes aux prisonniers. Puis ils prirent leurs dispositions pour la nuit. Les captifs furent de nouveau entravés. Deux hommes s’accroupirent près du feu tandis qu’une sentinelle effectuait une ronde autour du campement. Les autres se retirèrent sous la tente.

Une heure s’écoula dans un silence seulement troublé par des ronflements et le bruit de quelques prisonniers au sommeil agité. La sentinelle marchait à pas lents s’arrêtant souvent pour se reposer, appuyée sur sa pique, songeant à la part de butin qui lui reviendrait en fin de campagne. Un froissement de feuilles attira son attention. Il n’eut pas le temps de se retourner. Une main énorme s’appliqua sur sa bouche, empêchant un cri de sortir de sa gorge. Une vive douleur au niveau du rein droit, un vertige et il sombra dans un puits noir, sans fond.

Yvain laissa doucement retomber le corps de l’homme. Il remit son poignard dans sa gaine puis saisit l’arc que Xil lui tendait. Profitant des zones d’ombre, il se glissa vers les deux gardes qui somnolaient prés du feu. Un sifflement à peine perceptible et la flèche s’enfonça profondément dans le dos du Godomme. Le second tenta de se lever mais il n’en eut pas le temps. Une nouvelle flèche l’atteignit au creux de l’estomac. Il voulut crier mais n’émit qu’un gargouillement tandis que du sang noir envahissait sa gorge.

Ses deux compagnons rejoignirent Yvain et ils se dirigèrent vers la tente. Xil au pas de course trancha les cordes qui maintenaient les piquets. Ils s’abattirent lentement. Des exclamations sourdes jaillirent de dessous les peaux. Une tête apparut aussitôt fracassée par un maître coup d’épée délivré par Yvain. Un garde réussit à se glisser par l’arrière et se rua sur de Gallas.

— Prenez garde, Paul, hurla Yvain.

Le jeune homme se retourna juste à temps pour parer le coup qu’on lui décochait. Sa riposte ne fit qu’effleurer le pourpoint du garde mais il repartit immédiatement à l’attaque. Son épée semblait attaquer de tous les côtés. Yvain dut détourner son attention du duel car deux adversaires se présentaient à lui. Pendant plusieurs secondes, il dut se contenter de parer les coups qui lui étaient portés sous tous les angles. Mentalement, il remercia Cartignac qui lui avait appris à lutter contre plusieurs adversaires à la fois, technique totalement différente d’un duel ordinaire. Enfin, il trouva une ouverture et se fendit. Un Godomme s’effondra. De sa gorge tranchée jaillissait un flot de sang. Il tomba aux pieds de son congénère qui eut un mouvement de recul. Mal lui en prit car dans la seconde qui suivit, il ne put esquiver le furieux coup de pointe porté par Yvain. La lame pénétra d’une bonne trentaine de centimètres dans son thorax.

Prudent, Xil s’était contenté de frapper toutes les bosses qui apparaissaient sur la peau de la tente. Sa tactique n’était pas sans résultat car chaque coup était suivi d’un cri de douleur. Enfin, le calme revint. Aidé d’Yvain, il souleva la tente. Un garde seulement blessé, se rua sur le jeune chevalier, l’épée haute. Son attaque fut parée et il s’embrocha sur la lame de son adversaire déjà revenue en ligne.

De Gallas était agenouillé près du corps du garde.

— Êtes-vous blessé ? s’inquiéta Yvain.

Paul se releva en poussant un soupir.

— Non, ce n’est pas la première fois que je tue un Godomme et celui-ci était moins fort et rapide que ceux que nous avons affrontés hier. Regardez ce que j’ai trouvé pendu à son cou.

Il tenait dans sa main un petit sac contenant des racines noires.

— Pendant que nous combattions, il a maladroitement cherché à en consommer une. Cela doit agir un peu comme le cristal que nous portons mais son effet doit être temporaire. Je pense que tous les Godommes portent ce type de sac.

— Je dois avouer que j’ai livré mon premier vrai combat avant-hier, dit Yvain pensif, et je n’ai pas prêté attention à ce détail dans le feu de la bataille.

— Nous allons ramasser toutes les racines car je suis certain que notre maître alchimiste sera très intéressé par celles-ci.

Yvain fit une rapide inspection des cadavres.

— Aucun autre Godomme n’en possède. Cela a certainement un sens. Le vôtre porte des insignes de chef sur sa tunique. Ces racines sont peut-être rares et réservées aux officiers.

— Ou les gardaient-ils pour avoir plus de contrôle sur ses hommes, ironisa de Gallas.

Xil s’était empressé de libérer les prisonniers. L’un d’eux, un grand gaillard noir de poil, vint s’agenouiller devant Yvain.

— Messire d’Escarlat, nous vous remercions.

C’était un des paysans des terres du baron.

— Tanon, que fais-tu ici ?

— Hier soir, les Godommes sont arrivés et ont pris le château. Vous savez qu’il ne restait que peu d’hommes d’armes pour le défendre et votre sœur s’est résolue à capituler. Le seul à s’être défendu a été maître Cartignac.

— Qu’est-il arrivé ?

— Il était seul devant sa cabane, très droit, son épée à la main. Dix Godommes se sont approchés. Jamais je ne vis un pareil combat. Les soldats tombaient les uns après les autres. Le vieux allait achever le dernier quand un nouveau groupe de soldat est venu à la rescousse. Bien que perdant son sang par de nombreuses blessures, maître Cartignac se défendait toujours et plusieurs Godommes s’effondrèrent encore. Finalement, un soldat transperça maître Cartignac de son épée. Quand les Godommes nous ont obligés à ramasser les corps, j’ai compté quatorze morts et il y avait en sus six blessés graves.

Des larmes coulaient doucement sur les joues d’Yvain qui fit un rude effort pour ordonner :

— Poursuis !

— Ce matin, de nombreux Godommes sont partis pour rejoindre l’armée du Csar. Mes camarades et moi devions être conduits à Pendarmor avant d’être envoyés comme esclaves sur les terres de Radjak.

— Connais-tu l’effectif de la garnison ?

— Non, Messire mais les Godommes ne doivent plus être très nombreux, une vingtaine tout au plus.

Yvain prit immédiatement sa décision, à l’instinct.

— Nous allons leur rendre visite !

S’adressant aux prisonniers libérés, il ordonna :

— Partagez-vous les armes des Godommes. Prenez aussi tout ce qui peut vous être utile comme les casques, les pourpoints de cuir bardés de fer et les bottes.

Les hommes s’empressèrent d’obéir. De Gallas murmura à l’oreille d’Yvain :

— Même si la garnison n’est pas nombreuse, elle sera retranchée dans le château et je doute qu’elle pousse la bonté jusqu’à laisser les portes ouvertes.

Sans répondre, Yvain esquissa un sourire. Moins d’une heure plus tard, la petite troupe se mit en route. Plusieurs paysans montaient les dalkas des Godommes et avaient pris en croupe un camarade. Les derniers s’entassaient dans la charrette.

Yvain marchait en tête, menant un train rapide. En dépit de l’obscurité de la nuit, il se dirigeait sans hésitation, savait éviter les branches basses traîtresses. Comme Paul lui en faisait la remarque, il répondit :

— J’ai une bonne vue et j’ai souvent chassé la nuit.

Ainsi, la petite troupe ne tarda pas à émerger de la forêt à proximité du château d’Escarlat. La lune était couchée et la nuit particulièrement sombre.

— Nous nous regrouperons contre cette muraille mais surtout qu’on fasse silence.

La manœuvre se déroula sans incident. Yvain palpa les gros blocs de pierre qui constituait la base du mur. Enfin, il trouva le repère qu’il cherchait. Il tira le moellon qui glissa, révélant une cavité dans le mur. Il plongea la main pour en retirer une longue corde terminée par un grappin d’acier enroulé de chiffons.

— J’aimais sortir la nuit pour chasser et je tenais à rentrer discrètement sans obliger le garde à lever la herse.

Avec adresse, il lança la corde. Cette manœuvre lui était familière et le grappin s’accrocha à un créneau. Les chiffons amortirent le bruit du métal contre la pierre.

— Tiens solidement l’extrémité de la corde, ordonna-t-il à Tanon. Quand vous entendrez le cri de la chouette, vous me rejoindrez.

Il s’éleva lentement à la force des poignets songeant à la période heureuse où il vivait sans souci au château. L’image de son père mort s’imprima douloureusement sur ses rétines. Il serra les dents pour ne pas exhaler un soupir. Enfin, il prit pied sur le chemin de ronde et scruta l’obscurité. À une vingtaine de mètres, se tenait une sentinelle qui s’était adossée à la tour d’angle. Yvain dégagea de son épaule son are et engagea une flèche sur la corde. Deux secondes plus tard, le trait s’enfonça profondément dans la poitrine de l’homme. Yvain arriva au pas de course pour étouffer un cri éventuel mais ce fut inutile. Il amortit la chute du corps pour éviter le bruit puis ulula doucement.

Bien vite, de Gallas le rejoignit, suivi par Xil, Tanon et tous les autres.

— Prenez quatre hommes et suivez le chemin de ronde car il y a certainement une autre sentinelle ; Vite !

Yvain descendit en courant l’escalier étroit et raide qui menait à la cour. Il se dirigea vers un bâtiment à droite de la poterne.

— C’est le corps de garde, souffla-t-il. Il faut le neutraliser avant que l’alarme soit donnée.

Il tira lentement la porte. Quatre hommes étaient assis autour d’une table supportant un pichet de vin et des gobelets d’étain. D’autres étaient allongés sur des paillasses et dormaient. L’attaque fut aussi soudaine que féroce. Les Godommes trépassèrent en moins de deux minutes, trop surpris pour réagir. Yvain appuya la pointe de son épée sur la gorge du dernier survivant.

— Où sont les autres ?

— Dans… Dans le donjon, balbutia le malheureux terrorisé.

— Combien sont-ils ?

— Je ne sais pas compter. Trois fois les doigts d’une main.

Ce furent ses dernières paroles car Yvain avait enfoncé son arme dans la peau tendre du cou. Voyant la mine réprobatrice de Paul, il dit avec acrimonie :

— Ce n’est pas chevaleresque mais nous ne pouvons nous encombrer de prisonniers qui s’empresseront de filer et d’avertir leurs amis dès que nous aurons tourné le dos. Maintenant, suivez-moi un silence.

Dans la cour, ils perçurent un bruit sourd. C’était le corps de la deuxième sentinelle qui s’écrasait sur les pavés. La porte du donjon était fermée mais Yvain dirigea ses amis vers une fenêtre basse qu’il poussa doucement.

— Elle est étroite mais suffisante pour laisser passer un homme. C’est par là que je regagnais ma chambre.

La pièce dans laquelle ils se glissèrent était petite, obscure et sentait la poussière.

— C’était le lieu où ma mère aimait se retirer pour prier. Depuis sa mort, rares étaient ceux qui y pénétraient.

Sans hésitation, il se dirigea vers la porte qu’il ouvrit doucement. Des éclats de voix étaient perceptibles. Manifestement, la grande salle était occupée par une bande de fêtards qui menait grand tapage. Des torches résineuses sur leur déclin éclairaient faiblement la pièce. Une grande table avait été dressée en son milieu, supportant encore des plats bien vidés. Plusieurs convives s’étaient écroulés et dormaient sur leurs bras croisés. D’autres, ivres, continuaient à s’empiffrer.

Yvain, d’un geste, ordonna à sa troupe de se séparer pour se glisser le long des murs derrière les dîneurs. Lorsque l’encerclement fut réalisé, il se dirigea vers celui qui s’était installé dans le fauteuil de son père. Une véritable profanation ! Le Godomme, le visage écarlate et les yeux noyés par l’alcool, leva son gobelet en marmonnant d’une voix pâteuse :

— Esclave, verse-moi à boire.

Il ne comprit son erreur qu’en enfer car Yvain lui brisa le crâne d’un vigoureux coup d’épée, donnant ainsi le signal de l’attaque. Les paysans se ruèrent sur les convives, enchantés de prendre une revanche sur ceux qui les avaient malmenés, dépouillés et avaient humilié leurs femmes et leurs filles.

Au fracas des armes et aux cris des mourants succéda un lourd silence. Yvain réprima la nausée qu’il sentait venir, provoquée par le mélange des odeurs de sueur, de sang et de vinasse.

— Fouillez tout le château, ordonna-t-il, à la recherche des derniers Godommes. Répartissez-vous en groupe de quatre. Hâtez-vous car tout doit être terminé avant le lever du jour qui ne saurait tarder.

 

*

* *

 

Komo se prélassait dans un fauteuil. C’était un grand gaillard à la tignasse hirsute, portant des braies de grosse toile et une veste de peau sans manche largement ouverte sur une poitrine velue. Il couvait d’un regard ironique Aliva et Nara serrées peureusement l’une contre l’autre.

— Cet appartement paraît confortable et je vais m’y installer.

— Nous vous laissons la place, dit Aliva d’une voix mal assurée.

Komo éclata d’un rire puissant découvrant des dents mal rangées.

— Vous ne m’avez pas compris. Mon maître, le chef Arkon, m’a donné en récompense ce castel et toutes les terres qui en dépendent.

— Vous n’allez pas repartir après avoir pillé ? s’étonna Aliva.

Une nouvelle crise d’hilarité secoua Komo.

— Perdez cet espoir. Nous nous installons définitivement ici. Donc, ce château m’appartient ainsi que tous ceux qui l’habitent. Éventuellement, je pourrais vous épouser si vous voulez garder votre place.

Devançant le refus de la jeune fille, il ajouta :

— À moins que vous ne préfériez rester comme esclave. Mes hommes adorent lutiner les servantes et certains sont de chauds gaillards. Il faudra vous décider rapidement. Chez nous, il n’y a pas de cérémonies de mariage compliquées. Une parole suffit et on consomme immédiatement.

L’esprit en déroute, Aliva ne savait que répondre. L’idée d’être violée par des dizaines de soudards la terrorisait. Appartenir à cette brute lui répugnait mais la possibilité de conserver le château de ses ancêtres était tentante. Qui sait si les hasards de la guerre ne la débarrasseraient pas rapidement d’un époux importun. Lentement, comme l’oiseau fasciné par le serpent, elle avança vers Komo qui se leva, un sourire railleur aux lèvres. Il allait déboucler son ceinturon quand la porte s’ouvrit brutalement. Le battant de bois claqua sur la pierre. De Gallas entra, arme au poing. Komo se retourna et, instinctivement, porta la main sur la garde de son épée tout en plongeant la main dans un petit sac suspendu à son cou.

Paul avait reçu une éducation de chevalier, connaissait toutes les chansons de geste mais les deux jours passés en compagnie d’Yvain lui avaient ouvert d’autres horizons. L’ère des défis courtois était définitivement close mais il ne put se résoudre à tuer un homme désarmé. De plus, il était curieux de voir la rapidité des effets de la racine. Aussi laissa-t-il le temps à son adversaire de tirer son épée et mettre le plant dans sa bouche. Komo hurla un cri de guerre et se lança à l’attaque. Le coup porté était puissant. D’une rotation du poignet, Paul dévia la lame que le Godomme destinait à son estomac puis il se fendit à fond, le transperçant de part.

— L’effet de la racine est immédiat, murmura Paul. Il le savait pour avoir aussitôt porté son attaque.

Médusée, Aliva était restée immobile en voyant s’effondrer le corps du Godomme. Elle s’anima soudain pour se jeter dans les bras de Paul en sanglotant :

— Messire, vous êtes mon sauveur.

Yvain arriva à cet instant. Son épée était rouge de sang et de nombreuses taches brunes maculaient son pourpoint. Sa sœur sursauta en le reconnaissant et hurla :

— Où étais-tu ? Si tu ne t’étais pas enfui comme un lâche, les Godommes n’auraient jamais pris le château. Tu es un monstre !

Surpris par cette véhémence, de Gallas regardait alternativement les deux jeunes gens. La vieille se manifesta alors en disant :

— Mon petit, tu es vivant ! Il ne faut pas rester ici car les Godommes occupent le château.

— Ceux qui sont ici ne sont plus à craindre, ricana Yvain.

Il ajouta avec lassitude :

— Paul, voulez-vous vous occuper de ma sœur ? Vous arriverez peut-être à lui faire entendre raison. Dites-lui de préparer ses affaires car nous devons quitter les lieux au plus vite.

Il retourna dans la cour où tout le personnel se rassemblait tandis que les corps des derniers Godommes tués dans les étages étaient jetés par les fenêtres.

— Tanon, dit-il, réunis tous les habitants et explique-leur qu’ils doivent fuir car nos ennemis ne tarderont pas à revenir et leur vengeance sera terrible. Je te charge de conduire les femmes, les enfants et les vieux en forêt. La clairière des cerfs serait un bon endroit.

— Je le connais. C’est perdu au milieu de la forêt et il y coule un petit ruisseau.

— Prends avec toi quatre hommes. Choisis les bons chasseurs. Le gibier est abondant mais encore faut-il le tuer. Pars immédiatement car le chemin est long.

La colonne se mit en route en dépit des cris effarouchés des femmes et des pleurs des enfants. Yvain ordonna alors à plusieurs hommes de rassembler tous les fagots de bois qu’ils pourraient trouver dans les cuisines et de les disposer dans la grande salle du rez-de-chaussée.

Les dalkas étaient maintenant en nombre suffisant pour que tous les hommes soient pourvus d’une monture. Les derniers à quitter le donjon furent Aliva et Nara, escortées par de Gallas. Ce dernier, galamment, les aida à se mettre en selle. Il fut récompensé par le large sourire que lui dédia la jeune fille.

— Partez, dit Yvain, je vous rejoindrai.

 

Resté seul, il se dirigea lentement vers le donjon. La même odeur infecte planait dans la salle où s’entassait maintenant un monceau de fagots. Il saisit une torche qui brûlait encore dans son panier de fer suspendu au mur. Une larme glissa doucement sur sa joue. En un geste rageur, il lança le brandon sur les fagots. La flamme vacilla, hésita comme si elle renonçait à briller puis, soudain, s’éleva haute et claire. Yvain sortit en courant, étouffant un sanglot.

Les premières lueurs de l’aube apparaissaient quand Yvain arriva à la hauteur de Paul qui hésitait sur la direction à prendre.

— Nous remonterons la route qui mène à Pendarmor pendant trois heures puis nous nous dissimulerons en forêt. Je marche en tête pour éviter une mauvaise rencontre.

Lorsque la colonne s’arrêta pour pénétrer dans le bois, Aliva se retourna. Dans le ciel s’élevait une longue colonne de fumée noire.

— Il y a un incendie, dit-elle.

Soudain, ses yeux s’arrondirent.

— Non, ne dis pas, Yvain, que c’est mon château qui brûle.

— Notre château, soupira-t-il. J’ai préféré le voir incendié plutôt qu’aux mains des Godommes.

— Mais c’est notre bien ! Tu n’avais pas le droit de le détruire. Tu es un monstre. Je me plaindrai à notre père.

Yvain haussa les épaules et éperonna son dalka. Dépitée par cette retraite rapide, Aliva tourna sa colère contre de Gallas.

— Vous êtes aussi coupable que lui. Vous deviez l’en empêcher puisque vous êtes son chef.

Paul laissa passer l’orage puis, quand elle se tut pour reprendre sa respiration, il dit sèchement :

— Je crois qu’une mise au point s’impose. D’abord, c’est votre frère qui commande ce détachement.

— C’est impossible ! Vous êtes un seigneur de la cour tandis qu’il n’est qu’un minable homme d’armes qui n’a jamais combattu.

— Il a été nommé par le capitaine Henri de Guerreval. Votre frère a participé au tournoi organisé par le roi et a vaincu tous ses adversaires puis il a combattu avec grande vaillance les Godommes.

La vieille Nara écoutait avec attention et ne pouvait dissimuler son contentement en entendant vanter les mérites de son petit.

— Enfin, poursuivit Paul, j’ai une bien triste nouvelle à vous apprendre. Le baron d’Escarlat a trouvé la mort au cours de la bataille comme beaucoup de chevaliers. Je sais qu’Yvain a recueilli son dernier soupir peu avant de me secourir.

Un sanglot secoua les épaules d’Aliva. Paul chevaucha auprès d’elle en silence, respectant sa douleur.

Yvain ne tarda pas à décider une halte en ordonnant de faire silence et interdisant d’allumer un feu. Les dalkas furent regroupés et les hommes s’installèrent sur le sol pour manger les provisions qu’ils avaient eu la prudence d’emporter.

En début d’après-midi, le bruit d’une cavalcade se fit entendre. Paul et Yvain se glissèrent dans des buissons pour observer la route. Une importante colonne de Godommes avançait au grand trot.

— Voilà ce que j’espérais, murmura Yvain. C’est la garnison de Pendarmor qui vient aux nouvelles. Comme à d’Escarlat, il ne doit plus rester grand monde au château.

Les Sorcières du marais
titlepage.xhtml
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_000.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_001.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_002.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_003.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_004.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_005.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_006.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_007.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_008.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_009.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_010.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_011.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_012.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_013.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_014.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_015.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_016.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_017.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_018.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_019.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_020.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_021.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_022.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_023.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_024.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_025.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_026.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_027.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_028.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_029.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_030.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_031.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_032.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_033.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_034.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_035.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_036.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_037.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_038.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_039.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_040.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_041.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_042.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_043.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_044.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_045.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_046.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_047.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_048.html